Guillaume Bouzignac

EN FLAMMA DIVINI AMORIS (GBc.02)

[Tours, Bibliothèque municipale, ms 168, n° t.65]

[Paris, Bibliothèque nationale de France, Rés. Vma ms 571, n° d.101]

Attribution

Bien qu’anonyme dans la source A, ce motet est clairement attribué à Bouzignac au f. 90 de la source B.

Sources

A.

Anonyme [Guillaume Bouzignac], [sans titre], dans Recueil de motets et chansons de Tours (n° t.65), partition, ms, 365 x 230 mm, f. 80v-82, F-TO : ms 168

(les quatre pages en entier)

 

B.

Guillaume Bouzignac, [sans titre], dans Recueil Deslauriers (n° d.101), partition, ms, 352 x 220 mm, f. 89-90, F-Pn : Rés Vma ms 571

(f. 89-89v en entier ; 1er et 2e systèmes du f. 90)

à la fin : « Bouzignac ».

ajout d’une partie lacunaire de basse continue (mes. 1-3, 8-10, 60-64, 66-67).

Comparaison des sources

 

Ces deux sources témoignent d’un lien et peut-être d’une origine commune. On notera toutefois quelques variantes quant aux choix des altérations, de quelques rythmes, de certains mouvements mélodiques dans les parties intermédiaires (voir mes. 53-54) et dans le texte. Elles sont décrites dans le dossier de Concordances et analysées dans celui de Peter Bennett. Plusieurs d’entre elles correspondent à des erreurs de copie dans la source B, notamment pour ce qui concerne le texte (voir mes. 17 et 24-25). Enfin, on soulignera la présence dans la source B d’une partie de basse continue, notée tardivement d’une autre main ; cette partie, très lacunaire, se borne à des indications sommaires lorsque la partie de basse vocale se tait.

Utilisation liturgique

Semaine sainte.

Datation – Provenance

Aucun élément factuel ne permet de dater ce motet pour lequel aucune concordance n’a été établie, ni même de proposer une provenance géographique.

L’ajout de la basse continue dans la source B, beaucoup plus tardif (peut-être de la fin du xviie siècle), est vraisemblablement le fait d’un des possesseurs du manuscrit, avant l’entrée du recueil dans la collection de Sébastien de Brossard.

La présence d’une citation tirée des Stances pour Jésus-Christ de d’Andilly ‒ « flammas flammis adjungit et ignes ignibus » ‒ peut conforter la datation de cette œuvre. Les vers latins se trouvent en effet, avec leur traduction française, dans les Poemata varia de ce poète publiés à Toulouse en 1667. Mais ils sont très antérieurs, puisque la version française avait été imprimée séparément en 1628 et rééditée en 1642.

Effectifs – Disposition – Interprétation

sol2,ut1,ut3,ut4,ut4,fa4

Le motet est composé pour un chœur à six parties. Les deux parties de dessus, chantées par les enfants de chœur, sont soutenues par quatre pupitres de voix d’hommes : <haute-contre, taille, basse-taille et basse.

Notes sur le texte

Ce très beau centon anonyme, d’inspiration libre et dialogué, a pu être réalisé par un poète fort lettré, si l’on considère l’origine des emprunts effectués, mais aussi la qualité de l’invention et le sens dramatique de ce texte. L’incipit « En flamma divini amoris » renvoie à saint Jean de la Croix (Flamma amoris, cant. 1.1) : « Flamma divini amoris tam tenere inflammat animam », locution qui, bien plus tard, servira de titre à la publication des manuscrits de saint François de Sales (Flamma divini amoris corda cælesti igne accendens […] excerpta è manuscriptis S. Francisci de Sales, Vienne, Leopold Voigt, 1705).

Les références utilisées dans ce texte sont particulièrement riches. Outre quelques renvois à la Bible ‒ « deficit anima mea » tirée du psaume 83.1, ou bien l’adaptation du « non morientur patres pro filiis » du Livre des Rois (IV, 14.6) ‒, on notera l’emprunt à saint Fulgence (sermon lxiii) « mater cesset a lacrymis », mais aussi à Thomas a Kempis dans l’évocation des souffrances de la croix, « amarum fel Christi et acetum in cruce potatum » (élévation à Jésus-Christ).

D’autres emprunts plus inattendus peuvent être signalés comme la fameuse expression de Caton, « Cum quid peccatis, castiga te ipse subinde :/ Vulnera dum asnas, dolor est medicina doloris » (Il faut que le coupable prenne un remède amer, et souffre pour guérir), reprise dans de nombreux livres de médecine du xviie siècle, mais aussi dans les Acta sanctorum ordinis S. Benedicti de Luc d’Achery (1668). La citation est exacte dans le manuscrit de Tours, mais elle est corrigée en « amor est medicina doloris » dans le Recueil Deslauriers. Le lien est évident, puisque le copiste note d’abord « dolor », le biffe, puis corrige en « amor ».

L’un des emprunts les plus étonnants reste celui du vers « Jungamus flammas flammis et ignes ignibus », ajustant une stance du poète Robert Arnauld d’Andilly, un temps intendant général de Gaston d’Orléans : « Spiritus, ignis, amor cum mentem fœdere menti/ Alligat, et flammas flammis adjungit, et ignes/ Ignibus, haud animam moles terrena fatigat… » (Lorsque l’Esprit d’Amour avec un nœud de flame,/ Sans mélange du corps ny des plaisirs des sens,/ Forme par des liens aussi forts qu’innocens/ La Parfaite Union d’une ame avec une ame…). La version latine du texte de d’Andilly est publiée dans Pierre de Bastide, Robert Arnauld d’Andilly, « Stances sur diverses veritez chrestiennes », Viri clarissimi D. Arnaldi d’Andilly Poematia varia gallica, latinis versibus reddita a Petro Bastidaeo Tausiano, Tolose, Vve A. Colomiès, 1667, p. 253, (clxxvii : « Animarum conjunctio longè perfectior est anima corporis conjunctione »/ La parfaite Union des Ames est plus grande que celle de l’ame avec le corps). La version française fut imprimée dans les Stances sur diverses véritez chrestiennes (Paris, Vve. J. Camusat, 1642, clxii, p. 84), mais aussi dans une précédente édition en 1628.

Texte

[PRIMA PARS]

En flamma divini amoris.

Jesu, quis te vulneravit ? quis te crudeliter cædit ?

Flamma.

Jungamus flammas (a) flammis et ignes ignibus.

Hei mi, deficit anima mea (b).

Moreris Jesu propter iniquos.

En flamma divini amoris.

Ha ! moreris, Jesu ! ha ! moreris, fili !

SECUNDA PARS

Mater, morior pro filiis.

Quomodo vulneratus (c) ?

Amor est medicina doloris.

Jungamus flammas flammis et ignes ignibus.

Ha ! moreris, Jesu !

Quid plangis, mater ?

Ha ! moreris, fili !

Mater cesset lachrymari (d) !

Jungamus flammas flammis et ignes ignibus.

Quis amarum (e) fel et durum acetum dedit ?

Flamma divini amoris.

 

(a)  source B : « flammans »
(b)  id. : « animæ meæ »
(c)   id. (haute-contre) : « vulneraris »
(d)   id. : « lachrimari »
(e)   id. : « amaram »

Traduction

PREMIÈRE PARTIE

Voici la flamme de l’amour divin.

Ô Jésus, qui t’a blessé ? qui te frappe cruellement ?

Ô flamme.

Formons des liens avec un nœud de flammes, et avec l’Esprit d’amour.

Pauvre de moi, mon âme se sépare de moi.

Tu meurs, ô Jésus, à cause des méchants.

Voici la flamme de l’amour divin.

Ah ! Jésus, tu meurs ! ah ! tu meurs, mon fils !

SECONDE PARTIE

Mère, je meurs pour tous les enfants.

De quelle manière as-tu été blessé ?

L’amour est le remède de la douleur.

Formons des liens avec un nœud de flammes, et avec l’Esprit d’amour.

Ah ! tu meurs, mon fils !

Pourquoi pleures-tu, mère ?

Ah ! tu meurs, mon fils !

Il faut que la mère cesse de pleurer !

Formons des liens avec un nœud de flammes, et avec l’Esprit d’amour.

Qui a eu la barbarie de l’abreuver de ce fiel amer et ce vinaigre âpre ?

Ô flamme de l’amour divin !

 

(traduction : Jean Duron)

 

 

Résumé

Titre

Bouzignac - En flamma divini amoris [GBc.02]

Effectif simplifié

Six parties avec deux voix d'enfants
Six parties avec deux voix d'enfants et basse continue

Effectif détaillé

sol2,ut1,ut3,ut4,ut4,fa4
sol2,ut1,ut3,ut4,ut4,fa4 / bc

Source

Tours BM : ms 168, n° t.65
Paris BnF (Mus.) : Rés. Vma ms 571, n° d.101

Genre musical

motet

Genres littéraire et liturgique

centon dialogué

Identifiant

Utilisation liturgique

Semaine sainte